Pique-nique à Vincennes. Retour sur les utopies pédagogiques.
Les années 1970 ont été marquées par de nombreuses expérimentations socio-éducatives. Qu’en est-il aujourd’hui ? Existe-t-il de nouvelles approches pédagogiques ? Le retour à l’autorité est-il la seule ressource proposée par les démarches actuelles ?
En hommage à l’utopie éducative pour adultes qu’a représentée l’Université de Vincennes, nous** avons organisé un pique-nique à proximité du site où se trouvaient autrefois ses bâtiments. Aujourd’hui, ces derniers ont disparu sans laisser de trace, et aucun panneau historique n’en fait mention.
A cette occasion, le panneau historique été actualisé par nos soins avec les précisions suivantes : « Le 5 janvier 1969, ouverture du centre expérimental de Vincennes – première crèche expérimentale : pour la première fois de jeunes hommes prenaient soin des enfants ! En 1973 – on pouvait s’inscrire sans BAC, pour écouter avec ou sans diplôme, les penseurs les plus audacieux de l’époque : Deleuze et Guattari, Derrida, Lyotard, Châtelet, Cixous. C’était le berceau du féminisme… pour la première fois, une université en France dispensait un enseignement artistique (cinéma, théâtre, arts plastiques, musique) ». B. B-G. mai 2017
Au titre d’ hétérotopie organisationelle la démarche de CURIO s’inscrit dans une très longue histoire d’expériences didactiques, heuristiques et universitaires libres.
Du fait de sa nature décloisonnée et transdisciplinaire, et en raison de son épistémé flottant (est-ce de la science ou est-ce de l’art, les deux à la fois ou ni l’un ni l’autre?), la démarche proposée se trouve logiquement délaissée les institutions et artistiques scientifiques, et ne peut véritablement s’inscrire dans aucun cursus.
Il s’agit là d’une dichotomie que notre plateforme souhaite précisément dépasser, au profit d’un tâtonnement heuristique qui laisse toute sa place à l’imprévisibilité et à la surprise de l’invention de nouvelles formes de restitution.
Bien que marginalisée aujourd’hui, l’approche défendue par notre Centre de Recherches Indisciplinaires Ouvert – Une université expérimentale a de prestigieux précédents: Il faut sans doute remonter à la création du Black Mountain College (1933-1957) pour trouver la première initiative visant à entremêler ainsi art et science et qui inspirera le pionnier Centre interculturel de documentation (CIDOC) (Ivan Illich, Cuernavaca, Mexique, 1966-1971), puis le Centre universitaire expérimental (Paris, 1969-1980) et la Free International University (FIU) for Creativity and Interdisciplinary Research ( Düsseldorf, 1973-). A l’échelle micro qui est la nôtre, il ne s’agit ici pas moins de renouveler ce type d’initiative abordant les arts davantage par le prisme des sciences humaines et plus particulièrement de l’anthropologie sociale.
« Creativity is not limited to people practicing one of the traditional forms of art, and even in the case of artists creativity is not confined to the exercise of their art. Each one of us has a creative potential which is hidden by competitiveness and success-aggression. To recognize, explore and develop this potential is the task of the school. Creation—whether it be a painting, sculpture, symphony or novel, involves not merely talent, intuition, powers of imagination and application, but also the ability to shape material that could be expanded to other socially relevant spheres”
Joseph Beuys and Heinrich Böll, Manifesto on the foundation of The Free International School for Creativity and Interdisciplinary Research, 1973
Plus récemment, le principe d’une recherche procédant de la performance a été encouragée par Richard Schechner, en envisagée comme possible source de renouvellement des « performance studies ».
Plus généralement, le principe participatif de la pédagogie radicale *** a ruisselé dans divers domaines, et souvent dans des structures non académiques.
« Selon moi les performance studies sont comme… une planque, une activité parascolaire pour vilains garnements, un refuge pour ceux qui n’arrivent pas à marcher dans les clous. Si les performance studies ne sont pas à « taille unique », tout un chacun semble néanmoins y trouver sa mesure. Du moins ceux qui aiment les conflits, apprécient l’ambiguïté, savent naviguer dans le flou et se délectent des polémiques. Artistes comme universitaires pourront à l’occasion s’y reconnaître, y être défiés, s’y voir caricaturé, décortiqués, cuite et recuit avant d’être jeté en pâture. N’est-ce pas ce qui compte ? Il faut questionner. Cela est-il amusant ? Est-ce pour le plaisir? Est-ce comestible ? Où est-ce juste un enseignement universitaire? » Lois Weaver
* La clairière désigne l’endroit où se trouvait jadis l’université de Vincennes. En référence aussi au film « Vincennes, l’université perdue », de Virginie Linhart, 90 mn, 2016… « Pour l’instant, la clairière est libre » : la citation est issue des propos de Virginie Linhart.
** Ce « nous » désigne un groupe hétéroclite composé d’étudiants, de militants et d’anciens élèves de l’université de Vincennes ou de personnes proches de sa démarche utopique-réaliste initiale.
*** In the Canyon, Revise The Canon – Utopian Knowledge, Radical Pedagogy and Artist-Run Community Art Spaces in Southern California